La minute des experts est alimentée cette semaine par Michel Duru, Ingénieur agronome à l’INRAE, invité par notre membre du comité de programme de Good Anne Mey, Chargée de Recherche INRAE, l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement .
Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), l’alimentation durable contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle ainsi qu’à une vie saine pour les générations présentes et futures. Elle a de faibles impacts sur l’environnement et contribue à protéger la biodiversité et les écosystèmes. L’alimentation durable est aussi culturellement acceptable, économiquement équitable et abordable.
À l’heure actuelle, le manque de connaissances, de concordance et de compréhension entre le milieu de l’agriculture et celui de la santé reste un obstacle majeur au changement. Nous allons donc nous intéresser de plus près aux relations entre l’alimentation, l’agriculture, l’environnement et la santé.
Produire mieux et développer une meilleure agriculture, de quoi parle-t-on ?
On distingue trois types d’agricultures :
La plus courante est appelée « agriculture raisonnée ». Elle repose sur un nombre limité de cultures et utilise des engrais et des pesticides de synthèse. Elle vise la réduction de leurs impacts par le principe du « bon produit au bon endroit, au bon moment et à la bonne dose ».
L’agriculture biologique (AB) n’utilise pas de produits de synthèse, mais repose sur la diversification des cultures. Si les rendements sont moindres et les émissions de gaz à effet de serre par kg de produit sont parfois plus importantes, l’AB porte cependant moins atteinte à la biodiversité et présente bien moins de risques de toxicité pour les humains.
L’agriculture « de conservation des sols » (seulement 4% des exploitations agricoles) est une autre forme d’agriculture agroécologique qui repose sur la diversité des cultures, la couverture permanente du sol et la forte réduction du travail du sol. Les pesticides et engrais de synthèse ne sont pas interdits, mais la possibilité de réduire leur utilisation augmente au fur et à mesure que la santé du sol s’améliore par des apports conséquents de matières organiques. Ce type d’agriculture permet des rendements similaires à l’agriculture raisonnée.
Pour qu’un sol soit en bonne santé, il doit donc contenir le moins possible de résidus de pesticides et ne doit pas être travaillé et aéré. Mais nous parlons ici à l’échelle des parcelles agricoles. Si on veut aller plus loin et protéger les cultures des bio-agresseurs, il est aussi important d’avoir une diversité dans les paysages, avec des haies, des arbres, une diversification des cultures, …
Afin de contrôler les nuisibles qui détruisent ces exploitations, il est essentiel d’offrir aux insectes « protecteurs » ce qu’on va appeler « le gîte et le couvert », au travers de cette diversité biologique.
En France, les quatre principales cultures annuelles (le blé, le maïs, le colza et le tournesol) occupent 90% de l’espace. Les légumineuses par exemple ont quant à elles presque disparu de notre territoire, alors qu’elles présentent de nombreux atouts. En fixant l’azote de l’air, elles permettent de réduire l’utilisation d’engrais de synthèse et ainsi les émissions de gaz à effet de serre en supprimant les besoins en énergie fossiles pour les fabriquer engrais et en réduisant la volatilisation de protoxyde d'azote* lors de leur épandage.
* Le saviez-vous ? Le protoxyde d’azote est un gaz au pouvoir de réchauffement 300 fois plus important que le gaz carbonique !
Ces paramètres se contrôlent au-delà des exploitations agricoles. Ils se font sur des dizaines d’hectares et doivent donc être co-construits avec tous les exploitants.
L’impact des méthodes de production actuelles.
Aujourd’hui, l’agriculture représente environ 20% des émissions de gaz à effets de serre.
Le changement climatique, ou plutôt le dérèglement climatique, a engagé de nombreux pays lors de la COP 21 à atteindre zéro émission nette d’ici 2050. Ceci signifie que les émissions résiduelles liées à notre activité : se loger, se transporter, se nourrir, etc. devront être compensées par la séquestration du carbone dans les sols. Des changements radicaux doivent être mis en œuvre dans tous les domaines. Pour l'agriculture et l'alimentation, certaines émissions étant inévitables (méthane et protoxyde d'azote), la France s'est engagée à les diviser par deux.
À titre d’exemple, les changements opérés jusqu’alors n’ont conduits qu’à une diminution de 0,5 % par an des émissions de gaz à effet de serre. Les derniers travaux menés par l’INRAE ont démontré qu’il sera possible de réduire ces émissions de 15 à 20% maximum par la mise en place de bonnes pratiques agricoles.
Il va donc falloir aller beaucoup plus vite que par le passé dans le changement de nos modes de production et de consommation actuels.
L’élevage, un axe clé de l’amélioration de notre agriculture.
L'élevage, émettant plus des 2/3 des émissions de l'agriculture, constitue un domaine clé.
On peut distinguer deux axes de progrès :
La réhabilitation de la prairie pour nourrir les ruminants, du fait des multiples atouts qu'elle présente, l’utilisation des bonnes pratiques agricoles d’épandage des déjections pour éviter les émissions de protoxyde d’azote, ainsi que les modes d'alimentation, notamment l'ajout de lin à la ration des ruminants.
La réduction de la consommation de produits animaux ainsi que la diminution des importations et de la production. Il faut moins d’élevages mais de meilleurs élevages.
Au niveau du système alimentaire, la réorientation de l’élevage et la réorganisation des filières pour s'adapter à une diminution de la consommation de protéines animales constituent les leviers majeurs pour réduire les émissions à effet de serre.
Faisons maintenant un focus sur les « produits animaux » : la viande, le lait ou encore les œufs.
Il faut savoir que la composition des produits animaux en acides gras poly-insaturés (oméga 3 et 6) dépend beaucoup de leur alimentation. Au niveau de notre organisme ces produits peuvent avoir une fonction pro-inflammatoire (produits ayant une proportion élevée d'oméga 6 par rapport aux oméga 3) ou anti-inflammatoire (produits ayant un rapport oméga 6/oméga 3 voisin de 2).
Une vache qui mange de l’herbe par exemple a un lait riche en omégas 3, alors qu’alimentée au maïs et au soja elle aura un lait deux fois plus pauvre en omégas 3. De manière similaire, les porcs et les volailles complémentés en lin auront des teneurs en oméga 3 2 à 3 fois plus élevées que le régime courant.
Il ne faut donc pas dire que tel ou tel mode d’élevage est mauvais, mais plutôt prendre conscience des conséquences qu’engendrent ces derniers. À l’heure actuelle, seulement 35% du lait "est fait" à l'herbe, et 20% de la viande bovine est issue d'animaux nourris à l’herbe en France.
Les marges de progrès sont donc considérables, mais là encore, il ne s’agit pas de faire un focus sur l’élevage, mais plutôt avoir la vision systémique suivante : si les vaches sont élevées à l’herbe, c’est bon pour le sol, si c’est bon pour le sol, c’est bon pour la planète, et si c’est bon pour notre intestin c’est aussi bon pour notre système immunitaire.
L’impact de nos modes de consommation sur notre santé.
Une diététicienne américaine, qui a travaillé toute sa vie sur la maladie d’Alzheimer, en est arrivée à dire que la génétique n’est qu’à 20% à l’origine de la maladie. L'environnement, notamment l'alimentation, constituant le principal facteur qui intervient dès la naissance. Il faut comprendre par-là que selon le mode d’alimentation de la mère (donc la qualité et la composition du lait) puis celui de l’enfant, on se place sur une trajectoire métabolique plus ou moins favorable où l’on risque le développement de maladies chroniques non transmissibles (maladies cardiovasculaires, diabète...) 30, 40 ou 50 ans plus tard. Il est important de prendre de bonnes habitudes dès le plus jeune âge pour pouvoir être en bonne santé toute sa vie.
Il en est de même pour la Covid-19. Les formes graves sont associées à une inflammation généralisée provenant d'un affaiblissement de notre système immunitaire qui normalement nous protège contre les agressions et les virus. Ceci est en partie dû à une mauvaise alimentation : insuffisance de fibres qui sont le carburant de notre microbiote intestinal et insuffisance d’omégas 3 pour 90% de la population française, mais aussi trop de protéines animales à fonction inflammatoire, trop de produits ultra-transformés et exposition chronique à trop de résidus de pesticides.
Notre alimentation, qui impacte trop le climat est également un facteur de risques pour les maladies chroniques et nous rend plus sensibles aux maladies infectieuses et surtout à leurs formes graves.
Quelques chiffres.
En France, on consomme en moyenne 1,4 grammes de protéines totales (viande et produits végétaux) alors que les besoins sont de 0,8 grammes et que les recommandations sont situées entre 1 et 1,2 grammes (soit une consommation de 20 à 30% en trop).
Le Programme National de Nutrition Santé (PNNS) recommande de consommer 50% de protéines animales et 50% de protéines végétales. Or, actuellement, nous consommons 2/3 de protéines animales et seulement 1/3 de végétales.
Ne pas dépasser les recommandations et équilibrer les protéines permettrait de faire baisser de 35 à 50% les émissions à effet de serre de notre alimentation.
On ne consomme que 1,7kg de légumes secs (pois chiche, lentilles, etc.) contre les 10kg recommandés par an.
Il est recommandé de consommé 1,8 grammes d’omégas 3 par jour. Or, nous n’en consommons que 0,9 grammes.
Actuellement, un français moyen, de par son régime alimentaire, émet 1 600kg d’équivalent CO2 par an, soit 5kg par jour. Avec une alimentation révisée (plus de protéines végétales, plus de légumineuses et moins de viande), il peut diviser par deux l’émission de CO2 et c’est aussi meilleur pour la santé !
De plus en plus de travaux scientifiques montrent un lien entre différents domaines de santé : celle du sol, des plantes (moins besoin de pesticides) et de la planète (moins d'émissions de gaz à effet de serre), mais aussi la nôtre (moins de maladies) et celle de la planète.
La biodiversité dans les champs et les paysages, mais aussi dans notre alimentation contribuent alors à la santé globale. Il est donc important de comprendre les conséquences de nos modes de production et de consommation et montrer qu’en les faisant évoluer, nous pouvons être gagnants dans plusieurs domaines.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR CE SUJET :
Rendez-vous VENDREDI 18 JUIN
pour le 7ème épisode de "LA MINUTE DES EXPERTS"
avec le Professeur Lecerf.
POUR EN SAVOIR PLUS SUR GOOD L'ÉVÉNEMENT
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